“L’association entre ces deux mots, « phallus » et « joie » me semble essentielle.” Barbara Polla
“L’association entre ces deux mots, « phallus » et « joie » me semble essentielle.”
Les hommes sont-ils périmés ? Si la paranoïa permet de se donner des frissons à bon compte, si certains clament haut et fort (ça vend bien) que la fin de la civilisation mâle est arrivée (ça ne fait que 5000 ans qu’on entend la rengaine), on va peut-être se calmer. Les temps de contestation sont riches en liberté. Du coup, plutôt que vous rassurer (combien de milliers de fois faudra-t-il rassurer des hommes supposément courageux de naissance ?), parlons ensemble de redécouverte de l’érection.
A priori, rien de nouveau sous le soleil. Les hommes bandent et débandent. On en parle quand il y a un souci mécanique, ou quand la pornographie brouille notre perception de la réalité. On persiste à représenter les hommes comme par défaut en érection, alors qu’ils sont par défaut flaccides. On rigole. On botte en touche, mais jamais sous la ceinture. Et au-delà ?
Dans un essai que j’ai découvert le mois dernier et qui s’appelle Eloge de l’Erection (collection La Muette), la très multicasquette Barbara Polla (médecin, galeriste, politicienne, poétesse) dédie à l’érection quelques très belles pages, symboliques plus qu’anatomiques. J’espère que les passages suivants vous donneront du grain à moudre, et de quoi re-considérer vos émotions passagères 🙂
Ainsi, sur le peu de représentations des pénis, dont je parle régulièrement dans mes articles :
CE QUE L’ON NE REPRÉSENTE PAS, D’UNE CERTAINE FAÇON, N’EXISTE PAS. SOUHAITONS-NOUS VRAIMENT L’INEXISTENCE DU SEXE MASCULIN ? OU EST-CE SA PLASTICITÉ CAPRICIEUSE QUI LE REND SI DIFFICILE À REPRÉSENTER, LA MULTIPLICITÉ DE SES ÉTATS ?… SERAIT-CE ALORS L’EFFROI, LA FASCINATION, LA SIDÉRATION, QUI ÉCARTENT LES FEMMES DE LA REPRÉSENTATION DE CET ORGANE DE VIE, DE SA PUISSANCE ET DE SA FRAGILITÉ COMBINÉES ? OU ENCORE, EST-CE LA QUESTION DU TEMPS, LE TEMPS PENDANT LEQUEL ON PEUT CONTEMPLER UN PHALLUS, TOUJOURS PLUS COURT QUE CELUI PENDANT LEQUEL ON PEUT CONTEMPLER UN SEXE FÉMININ ? PEUT-ÊTRE AUSSI QUE POUR LES ARTISTES FEMMES, LE FAIT DE REPRÉSENTER LE SEXE MASCULIN, SERAIT LUI DONNER TROP D’IMPORTANCE, TROP D’AUTONOMIE ? CRAIGNENT-ELLES QUE LE CONTRÔLE QU’ELLES EXERCENT SUR L’ÉRECTION SE DILUE DANS LA REPRÉSENTATION, SI TANT EST QUE CETTE REPRÉSENTATION SERAIT UN FLAGRANT AVEU DE DÉSIR, UN DÉSIR PAR LEQUEL LES FEMMES RISQUERAIENT D’UNE CERTAINE MANIÈRE DE S’ÉCHAPPER À ELLES-MÊMES ?
Sur nos civilisations obstinément phalliques :
L’ARCHITECTURE AURA ÉTÉ, DE TOUT TEMPS, POUR LES HOMMES, L’UNE DES GRANDES CONSOLATRICES DE LA DÉTUMESCENCE ET DE LA MORT.
Sur le fait de multiplier les érections, et de pouvoir les féminiser – sortir encore et toujours de nos petites catégories convenues :
LA NOTION D’ÉRECTION N’EST PAS UNE NOTION MASCULINE. AUTREMENT DIT, L’IDÉE QUE NOUS AVONS, DANS LA LANGUE GRECQUE, QUE L’ÉRECTION CONCERNE LE PHALLUS, EST UNE INTERPRÉTATION DÉPLACÉE, POUR NE PAS DIRE DÉSUÈTE. IL EST ÉTABLI, MÊME D’UN POINT DE VUE STRICTEMENT MÉDICAL, PHYSIOLOGIQUE, QU’IL EXISTE BEL ET BIEN UNE ÉRECTION FÉMININE.
Sur l’érection comme éternel recommencement, et éternel éphémère :
PARCE QUE DANS LE PLAISIR IL Y A PERTE, PARCE QUE L’ÉRECTION NE DURE PAS, L’ÉRECTION EST LIÉE À LA JOUISSANCE ET DISPARAÎT COMME SI LA RÉALITÉ CONTENAIT UNE MENACE. L’ÉRECTION EST UN ABOUTISSEMENT MOMENTANÉ ET RÉUSSI DU DÉSIR. LA JOUISSANCE, L’ÉJACULATION, L’ORGASME, INTERROMPENT LE PROCESSUS DU DÉSIR, MAIS ILS SONT LE POINT DE DÉPART D’UN NOUVEAU DÉSIR CÉDANT LA PLACE À CET AUTRE DÉSIR.
Sur l’érection comme pur passage :
LE PHALLUS ENTRE, C’EST LÀ SA FONCTION, SA JOUISSANCE, C’EST CETTE CAPACITÉ D’ENTRER ET D’Y TROUVER DÉLECTATION. ENTRER EN QUOI ? ENTRER EN L’AUTRE. LE PHALLUS N’ENTRE JAMAIS EN LUI-MÊME. IL VISE L’ALTÉRITÉ. J’AIME L’ANALOGIE QUI A ÉTÉ FAIT AVEC UN PAYS QUI MEURT LORSQUE SES FRONTIÈRES DEVIENNENT PRISON : LE SYMBOLISME MÊME DU PHALLUS EST DE TRANSFORMER LES MURS DE LA PRISON EN FRONTIÈRE DU PASSAGE. FINALEMENT, LE PHALLUS A CETTE PUISSANCE DE TRANSFORMER CE QUI EST OPAQUE ET IMPERMÉABLE EN UNE VOIE DE PASSAGE ET NOUS RETROUVONS HERMÈS, LE DIEU DES ROUTES : IL S’AGIT DE SE FRAYER UN CHEMIN VERS L’ALTÉRITÉ. QUE VEUT LE PHALLUS ? CERTES, IL VEUT JOUIR ET DONNER SA SEMENCE, MAIS L’HORIZON QU’IL VISE, LUI, RESTE UN MYSTÈRE. C’EST PEUT-ÊTRE DE CE MYSTÈRE, ET DE CETTE CAPACITÉ POTENTIELLE À SE FRAYER CE CHEMIN, EN PÉNÉTRANT L’ESPACE, Y COMPRIS L’ESPACE INTIME DE L’AUTRE, QUE VIENT LA SACRALITÉ DU PHALLUS.
Comme quoi, nous n’avons pas massacré le sacré. Nous nous contentons de le réinventer. Bonne année, camarades.